Peau – Détail – Tamaris BORRELLY

La symbiose mycorhizienne est le lien étroit qui uni champignons et plantes via leur système racinaire. Si elle apparait comme une évidence pour les spécialistes et les artistes qui se la sont appropriés, la symbiose plante-champignon souffre de son manque de visibilité, du fait, en partie, de sa nature souterraine.

Ectomycorhize de bolet pruineux (Xerocomus pruinatus) sur hêtre (Fagus sylvatica). © Marc Buée

Le lien entre art et science

Greenline Foundation a pour objectif de mettre en avant le motif de la forêt et l’écologie dans l’art contemporain. De son côté, Forest Art Project est une association fondée par le botaniste et écologue de renom Francis Hallé qui promeut également la symbiose entre art et science, unis pour la protection des forêts.

Dans cette optique, l’exposition Forêt, Vert Fragile s’est construite à partir des plaquettes scientifiques apportées par Forest Art Project, plaquettes sur lesquelles Paul Ardenne s’est appuyé pour réaliser sa curation. Chaque thématique présente une notion indispensable pour comprendre le fonctionnement d’une forêt, et plus largement de n’importe quel écosystème terrestre.

Exposition Forêt, Vert Fragile visible à la bibliothèque Alcazar (Marseille) jusqu’au 16 décembre 2023.

La symbiose mycorhizienne

Un écosystème se structure grâce aux interactions entre les êtres vivants qui le peuplent. Prédation, parasitisme, compétition… Mais aussi entraide grâce aux interactions à bénéfices mutuels, dites « mutualistes ». Dans sa forme la plus poussée, le mutualisme devient symbiose.

La symbiose est définie par Marc-André Selosse, chercheur au Muséum nationale d’Histoire naturelle dans l’unité ISYEB (Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité) comme une coexistence physique interspécifique durable. Autrement dit, une proximité intime et sur le long terme entre 2 organismes d’espèces différentes.

Fructification de laccaire (Laccaria sp.) associé au sapin de Douglas (Pseudotsuga menziesii). © F Martin

C’est sous nos pieds que se tisse la plus remarquable forme de symbiose. Elle a lieu entre le mycélium, filament constitutif des champignons, et les racines des plantes visibles à la surface. Discret mais crucial, ce partenariat porte le nom tout trouvé de mycorhize : « mukes » champignon et « rhiza » racine.

Des déserts aux forêts, cette union universelle joue un rôle clé dans le maintien des communautés végétales. En effet les champignons, incapables de photosynthèse, se nourrissent du sucre synthétisé par les plantes. En contrepartie ils favorisent l’absorption d’eau et de minéraux nécessaire à la vie des plantes.

Loin d’être une exception, cette magie des sols concerne plus de 90 % des plantes d’après Francis Martin, chercheur à l’INRAE dans l’unité IAM (Interactions Arbres/Micro-organismes). Dans ce ballet de la vie, les champignons soutiennent les arbres, tandis que les arbres nourrissent les champignons. Une harmonie où chaque note est essentielle, un équilibre qui nourrit la croissance forestière et l’inspiration artistique.

La symbiose vue par les artistes

Cette thématique se retrouve de façon très littérale dans le travail de Valérie Crenleux qui se sert de son atelier comme d’un laboratoire où elle recréé au gré de ses expérimentations artistiques une illusion de symbiose. Sa méthode : cultiver du mycélium, forme non-reproductrice du champignon, sur des vestiges de racines séchées. Son art nous offre la vision rare d’un paysage enfoui où le mycélium est roi.

Valérie CRENLEUX, Interconnectivité de l’univers (détail), 2022.

À l’instar de la symbiose entre champignons et arbres, Desire Moheb-Zandi fusionne sa propre histoire et son héritage culturel dans des tapisseries sculpturales immenses. Tout comme les champignons apportent des nutriments essentiels aux arbres, les éléments contemporains, tels que les tubes en caoutchouc et les filets synthétiques, enrichissent sa création. Chaque matériau est une métaphore de la symbiose, où l’alliance crée une œuvre d’art vivante et évolutive.

Désiré MOHEB-ZANDI, Network, 2022.

Solange Pessoa, artiste brésilienne née à Ferros en 1961, trouve son inspiration au cœur de la nature qui la nourrit, à l’image de la symbiose entre plantes et champignons. Originaire du Minas Gerais, région marquée par l’union entre le baroque colonial et l’industrialisation, elle révèle l’âme organique du monde à travers son œuvre prolifique. La matière organique, qu’elle puise dans sa ferme familiale, devient un médium vivant, évoluant au fil du temps, à la manière des champignons qui enrichissent le sol et nourrissent les arbres. Ses sculptures en stéatite évoquent des formes ancestrales, un écho lointain aux cycles de la vie.

Tamaris Borrelly pense le monde comme un tout qui se fond, s’allie et se confond. Elle replace l’Homme au sein des écosystèmes : morceaux de nature, il en emprunte la face, les mécanismes. On le devine dans cette forêt édénique à sa silhouette. Dans un monde où l’activité humaine est la principale source de perturbation des écosystèmes, cette présence harmonieuse nous interpelle avec finesse et mélancolie.

Tamaris BORRELLY, Cette forêt des premiers temps, 2019.

L’art comme vecteur

Alors que dans 2,5m² de sol forestier le mycélium représente en moyenne une distance de 20 000km et un poids de 160kg, son importance est encore trop méconnue et sous-estimée par le grand public. Hors il n’y a pas de forêts sans champignons, et pas de champignons sans sols riches et sains. L’objectif conjoint de Greenline Foundation et Forest Art Project est de transmettre ces savoirs indispensable en douceur via les œuvres d’artistes engagé.es et sensibles à la cause végétale.

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